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OMC: A Abou Dabi, un sommet ministériel aux multiples enjeux

Par Antoine BOUËT | Edition N°:6715 Le 01/03/2024 | Partager

Antoine Bouët est professeur d’économie à l’Université de Bordeaux (France)

La XIIIe Conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) se tiendra du 26 au 29 février 2024 à Abou Dabi (Émirats arabes unis). Entre 1996 et 2022, les 12 sommets ministériels ont donné au total peu de résultats. On peut compter trois succès en 26 ans: l’accord sur la facilitation du commerce à Bali en 2013, qui a permis une amélioration des procédures douanières dans le monde; l’accord sur l’élimination des subventions à l’exportation dans l’agriculture à Nairobi en 2015; l’accord sur la pêche à Genève en 2022, qui interdit les subventions aux vaisseaux opérant une pêche illicite, non notifiée ou non règlementée et celles contribuant à la pêche de stocks «surexploités». À Abou Dabi, de nombreux sujets, qui divisent aujourd’hui les 164 pays membres, doivent être discutés. En premier lieu: la réforme de l’organe de règlement des différends (ORD), dont le mécanisme d’appel est bloqué depuis décembre 2019.

Le blocage du règlement des différends

L’ORD a été créé en même temps que l’OMC, en 1995. Cet organe permet à n’importe quel pays membre de l’OMC de porter plainte contre un autre qui aurait enfreint les règles multilatérales du commerce. Une fois la plainte portée devant l’OMC, les parties au litige ont 60 jours pour négocier un accord entre eux.

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Si cette phase de concertation n’aboutit pas, le plaignant peut demander à l’OMC de réunir un panel qui fournit des conclusions juridiques. Les parties au litige peuvent toutes les deux faire appel à la suite de ces premières recommandations. Si tel est le cas, l’organe d’appel peut confirmer, modifier ou aller à l’encontre des premières recommandations. S’il est donné raison au plaignant, le défendeur doit alors mettre en conformité la ou les mesures concernée(s). Si ce dernier refuse, le plaignant peut être autorisé à mettre en place des mesures de représailles contre le défendeur.

L’ORD a joué un rôle déterminant dans la résolution de litiges commerciaux. Depuis 1995, 621 demandes de consultation ont été émises et ont impliqué globalement 53 pays comme plaignants et 55 comme défendeurs. En éliminant les renouvellements de requête et en tenant compte des cas avec plusieurs plaignants, il y a eu, depuis 1995, 616 cas de plainte d’un pays contre un autre. Le tableau 1 montre la répartition des pays suivant les groupes de revenu et les acteurs les plus fréquents. Pays développés et pays en développement ont eu recours à l’ORD pour résoudre leurs différends et des pays à revenu intermédiaire ont porté plainte contre des pays plus riches. Les litiges ont couvert une grande variété de sujets: mesures anti-dumping, subventions, accords sur l’agriculture, obstacles techniques au commerce, mesures sanitaires et phytosanitaires… Dans un cas sur six environ (108 sur 616), les différends ont été résolus par voie de consultation, avant qu’un panel soit réuni ou ait produit un rapport. Parmi les procédures qui ont eu recours à un panel et qui ont fait l’objet de prises de décision (295 sur 616), les issues les plus fréquentes ont été une solution coopérative (solution mutuellement négociée ou mise en œuvre de la recommandation du panel) et on note seulement vingt cas d’autorisation d’application de mesures de représailles. Depuis maintenant quatre ans, l’ORD, considéré longtemps comme le «joyau de la couronne» du système commercial multilatéral, est en crise avec le blocage de la nomination de membres de l’organe d’appel par les États-Unis. Ce dernier n’est plus en mesure de fonctionner alors que plus de 70% des conclusions des panels ont fait l’objet d’appel. La moyenne par an des différends portés à l’ORD est passée de 23,8 entre 1995 et 2018 à 6,5 entre 2020 et 2023. La plupart des rapports des panels font maintenant l’objet d’un appel «dans le vide» et le règlement de ces différends est en suspens. Il y a urgence à trouver une solution, mais il sera difficile pour l’administration américaine de faire des concessions sur ce dossier une année d’élection présidentielle.

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Source: Bouët, Maty Sall et Métivier (CEPII Working Paper à paraître) à partir de données OMC

Un nouvel accord sur la pêche

Les subventions aux activités halieutiques concernent à la fois des subventions que l’on peut qualifier de bénéfiques, car ayant vocation à conserver et gérer les ressources halieutiques, les subventions contribuant à une surcapacité ou une surpêche, et les subventions dont il est difficile d’estimer l’impact sur l’activité halieutique. À l’OMC, les discussions portent sur la réduction des subventions contribuant à une surcapacité ou une surpêche, les plus importantes pour la plupart des membres, à l’exception des États-Unis et de la Corée du Sud (graphique 1). Ces subventions incluent des subventions de capital (achat, modernisation de vaisseaux, etc.), de consommation intermédiaire (fuel, glace, appâts), de coût du personnel, des soutiens aux revenus ou aux prix, ou couvrant des pertes, ou des subventions de pêche dans des zones en dehors de la juridiction du pays.

Les points d’achoppement dans ce dossier concernent le traitement spécial et différencié, c’est-à-dire la prise en compte des situations individuelles des pays membres de l’OMC (par exemple la distinction pays les moins avancés/pays en développement/pays développés, critère croisé dans cette discussion avec le cas des 20 pays pratiquant les subventions les plus importantes) pour définir une règle spécifique de réduction des subventions par groupe de pays. D’un côté, les États-Unis veulent un accord ambitieux avec le moins d’exemptions possible. De l’autre, des pays en développement veulent autoriser des flexibilités importantes à leur bénéfice.

Commerce de transmissions électroniques

Le commerce de transmissions électroniques est un commerce en forte croissance. Il correspond à des livraisons internationales en ligne de musique, de e-books, de magazines, de quotidiens, de films, de jeux vidéo… En 2020 et 2022, il avait été décidé de renouveler un moratoire, temporaire, qui exempte de droits de douane ces transactions. À Abou Dabi, les participants devront décider soit d’un nouveau moratoire temporaire, soit d’un moratoire permanent, soit de l’arrêter. L’Inde, l’Indonésie et l’Afrique du Sud sont d’ores et déjà contre un moratoire permanent: ces pays se déclarent intéressés par la taxation des transmissions électroniques, car ce commerce est en pleine expansion. Une évaluation récente montre pourtant qu’au niveau mondial, les pertes potentielles de recettes publiques sont faibles et que pour ces pays, elles pourraient être facilement compensées par une faible augmentation des taxes à la valeur ajoutée.

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Notes: Sont retenus ici les 5 pays dont l’indice de développement humain est relativement élevé et les 5 pays dont l’indice est relativement faible pour lesquels les subventions sont les plus importantes. Les subventions bénéfiques sont des dépenses engagées pour la conservation et la gestion des ressources halieutiques. Les subventions contribuant à une surcapacité ou une surpêche figurent dans la catégorie «Renforcement des capacités». Les autres formes de subventions, dont il est difficile d’estimer l’impact sur l’activité halieutique, sont regroupées dans la catégorie «Ambigu».

                                             

Agriculture et sécurité alimentaire

À Abou Dabi, sept sujets sur l’agriculture et la sécurité alimentaire seront discutés:

1/Le soutien domestique ou soutien national aux agriculteurs: le groupe de Cairns (Afrique du Sud, Argentine, Australie, Brésil, Canada) veut une réduction significative du soutien domestique. L’Union européenne et les pays du G10 (Suisse, Japon, Corée du Sud, Norvège, Islande…) s’y opposent.

2/L’accès au marché: les États-Unis veulent une diminution significative des droits de douane dans l’agriculture ; l’Union européenne, les pays du G10 et l’Inde sont contre.

3/La clause de sauvegarde spéciale est un instrument de protection réservé aux pays en développement pour augmenter temporairement leurs droits de douane dans l’agriculture lors d’une forte croissance des importations ou d’une chute des prix. L’Inde veut faciliter l’accès à cet instrument pour les pays en développement ; les États-Unis sont contre.

4/Les restrictions à l’exportation sur des produits agricoles, mises en place régulièrement par des pays comme l’Argentine, l’Inde ou le Vietnam, jouent un rôle certain dans la volatilité des prix agricoles, volatilité qui peut nuire aux intérêts des pays importateurs nets et notamment parmi eux les pays pauvres (Bangladesh, Pakistan, beaucoup de pays africains). Les discussions portent sur des disciplines plus sévères sur ces restrictions.

5/Les subventions et aides à l’exportation: le Canada, le Chili et la Suisse veulent renforcer les disciplines sur les crédits à l’exportation, l’aide alimentaire internationale et les opérations des entreprises exportatrices d’État.

6/Les subventions pour les producteurs de coton: c’est un sujet traditionnel de discussion à l’OMC, opposant notamment des pays producteurs et exportateurs comme le Bénin, le Burkina Faso, le Mali et le Tchad à l’Union européenne et aux États-Unis, les premiers voulant la fin des programmes de soutien aux filières locales des seconds.

7/Les stocks publics constitués pour la sécurité alimentaire sont des programmes d’achat, de stockage et de distribution de denrées alimentaires en cas d’insécurité croissante. Un certain nombre de pays en développement, dont l’Inde, veulent une clause de paix permanente sur les stocks constitués à des prix administrés ou minimum (une clause de paix temporaire avait été adoptée à Nairobi en 2015). Les pays exportateurs de ces denrées sont contre.

Sur tous ces sujets, les positions des pays membres semblent difficilement conciliables. La seule décision à faire aujourd’hui l’objet d’un consensus est l’accès à l’OMC des Comores et du Timor-Leste.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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